L'installation d'Alpha

Alpha poussa une lourde porte en bois d'olivier, indifférentes aux arabesques qui s'y déployaient. En temps normal, elle se serait arrêtée pour contempler le spectacle mais, bon sang, ce que ce sac pouvait être pesant...

Alpha poussa un gémissement. Dortoir n°5, avait dit la femme. Elle y était. Lit n°578...
En regardant à sa gauche, elle voyait un sommier numéroté 501. A sa droite, 502. Et deux bons mètres séparant le n°501 du n°503...
Elle aimait les mathématiques, mais le calcul qui lui indiquerait combien de mètres il lui restait à parcourir la désespérait d'avance.

A force d'efforts, Alpha parvint au lit désigné. Elle lâcha son sac, qui s'écrasa contre le sol, et s'affala sur le lit. Les draps se froissèrent sous le poids de son corps menu.
Le mobilier était simple : un lit, une petite table de nuit et une lampe de chevet. Entre les lits, contre le mur, s'alignaient de petites armoires.
On voyait clairement les lits occupés : de légers plis étaient imprimés sur le tissu blanc et doux des draps, les placards débordaient sous les vêtements, quelques cahiers abandonnés gisaient sur les tables, plusieurs ampoules étaient encore allumées...

Alpha fixa le plafond, ses cheveux rouges répandus comme une auréole. Blanc. Immaculé. Haut d'au moins trois mètres.

Ses parents lui manquaient. Elle ne se ferait pas d'amies, ici...

Pour une raison bien simple : qui voudrait d'elle ?

Décidément, Alpha adorait contempler le plâtre, que ce soit celui des murs ou du plafond - le sol était plus rare, puisque la jeune fille ne baissait que rarement la tête. Ses yeux bruns devaient fixer le plafond du dortoir depuis quelques dizaines de minutes au moins.
Une désagréable sonnerie avait retenti un petit moment auparavant, marquant le début des cours pour les pensionnaires de la Konoha School. Nouvelle arrivante, Alpha avait obtenu un jour de repos. On était vendredi, elle aurait le week-end entier pour se familiariser avec le bâtiment et l'emploi du temps...

*Mais certainement pas avec les élèves... Si les filles d'ici ne font que reluquer leurs enseignants, j'ai peur de ne pas pouvoir suivre les conversations bien longtemps.

Bien sûr, pour suivre les conversations, il fallait déjà faire l'effort, surhumain du point de vue de la cousine de Sasori, de les écouter. De toute façon, son langage plutôt soutenu ne l'aidait pas à s'intégrer ; à force de ne discuter qu'avec ses parents ou ses professeurs et de lire, elle avait perdu toute notion de langage courant ou familier.

Lassée de la vue du plafond blanc et uniforme, Alpha se redressa, des mèches flamboyantes tombait sur son bustier noir, et fouilla dans la poche de sa jupe pour en sortir une feuille froissée que lui avait donnée la femme de l'accueil. La liste de ses professeurs.

Elle parcourut le papier des yeux. Anglais, sciences physiques, SVT, EPS, histoire, latin, grec, japonais, défilaient sans qu'aucune étincelle d'intérêt n'y apparaisse.
"Mathématiques ( 5 heures ) : Uchiwa Sasuke"
Un sifflement furieux sortit des lèvres de l'adolescente. Ses traits fins se crispèrent, transformant son visage de petite fée en un masque dur. Elle aimait les adultes ouverts au dialogue, brillants par leur intelligence plus que par leur physique. Ce jeune homme était le contraire de cet idéal. L'image qui venait à l'esprit d'Alpha en pensant à lui était celle de la banquise en plein jour : froide, glaciale même, mais majesteuse et resplendissante sous le soleil. Avait-il un soleil pour l'éclairer, l'enseignant ? La question se posait.

Cinq heures de mathématiques, en plus. Alpha priait pour qu'il enseigne bien sa matière favorite.

Le reste de la liste se déroula sous son regard morne. "Lettres : Nara Shikamaru, MPI : ..."

Alpha finit par fourrer la feuille dans sa poche et par se lever, sa chevelure rouge suivant le mouvement. Elle y passa une main recouverte d'une mitaine noire - le style gothique était son favori et si le pensionnat le permettait, elle le garderait le restant de l'année.
Ses ballerines effleuraient le sol, pas rapides mais légers qui conduisirent Alpha vers la sortie du dortoir. Son vendredi était libre, les couloirs sans doute déserts ; autant en profiter pour une longue visite en solitaire...